Extrait de the Conversation- L’expertise universitaire, l’exigence journalistique 16 juillet 2017

Des scores comparables aux tests entre les filles et les garçons

En effet, pour poser un diagnostic de troubles du spectre autistique (TSA), médecins et psychologues s’appuient sur des critères quantitatifs évalués à l’aide de tests ou de questionnaires, mais aussi des critères qualitatifs, comme des centres d’intérêt spécifiques, des gestes stéréotypés, un regard fuyant, des troubles du langage ou l’isolement. Or, si les filles autistes ont des scores comparables à ceux des garçons aux tests et aux questionnaires, la présentation clinique de leur condition est différente, du moins dans les cas où le langage est acquis.

Grâce à des stratégies d’imitation sociale, par exemple, les filles autistes parviennent mieux à se faire des camarades que les garçons autistes ; elles ont des centres d’intérêt en apparence plus ordinaires que ceux des garçons autistes (les chevaux, plutôt que les plans de métro) ; elles présentent moins d’agitation physique mais souffrent plus souvent de troubles anxieux, moins spectaculaires ; elles parviennent mieux à camoufler leurs stéréotypies et les rituels qui les rassurent. En d’autres termes, elles sont des autistes plus discrètes, de sorte que les signes sautent moins aux yeux des familles, des enseignants et des médecins.

Cette discrétion toute féminine peut s’expliquer aussi bien par la biologie que par l’éducation, illustrant l’impossibilité de dissocier, ici, l’inné de l’acquis. Côté nature, les hypothèses avancées sont celles d’une cognition sociale plus performante chez les filles, ainsi qu’une meilleure aptitude à la prise en charge d’autrui (care, en anglais). Ce serait en raison des ces dispositions que les filles seraient plus attirées par ce qui relève de l’animé (chats, célébrités, fleurs…) et les garçons, par l’inanimé (voitures, robots, réseaux ferroviaires…).

Côté culture, l’éducation différenciée veut que les comportements socialement acceptables ne soient pas les mêmes si l’on est une petite fille ou un petit garçon. Quand bien même les enfants autistes sont plus résistants que les autres à cet enseignement, la pression à la conformité est telle qu’elle finit tôt ou tard par impacter leurs comportements, comme le raconte Gunilla Gerland dans son autobiographie. Petite, cette Suédoise détestait porter des bagues et des bracelets ; le contact avec le métal lui était insupportable. Constatant que les adultes ne pouvaient concevoir qu’une fillette n’aime pas les bijoux, elle s’était résignée à les recevoir en cadeau et même à remercier – pour les ranger aussitôt dans une boîte.

L’art du camouflage à son summum: Ainsi, plus la petite fille autiste grandit, plus augmente l’écart entre sa présentation clinique et celle d’un garçon. A l’âge adulte, elle a développé puis intériorisé des stratégies de compensation de ses déficits, portant parfois l’art du camouflage à son summum, ce qui justifie pleinement le terme de  » handicap invisible » utilise pour décrire certaines formes d’autisme de haut niveau. Il donne d’ailleurs son titre au récit en bande dessinée publié par Julie Dachez en 2016, « La différence invisible » (Delcourt).

Planche extraite de « La différence invisible » (Delcourt), par Mademoiselle Caroline et Julie Dachez. Ou comment Marguerite, une jeune femme que rien ne distingue des autres en apparence, va se découvrir autiste Asperger. Delcourt/Mirages

Les femmes autistes sont de plus en plus nombreuses à découvrir leur condition sur le tardet font entendre leur voix. Depuis septembre 2016, l’Association francophone des femmes autistes (AFFA) milite pour la reconnaissance des spécificités féminines dans l’autisme. Enfin, à la croisée de la société civile et de la communauté scientifique, une société savante sur l’autisme chez les femmes est en cours de création, avec pour objectif d’établir un dialogue entre les chercheurs et les personnes concernées.

Un questionnaire spécifique pour les jeunes filles

De grands penseurs de l’autisme comme l’Autrichien Hans Asperger (qui donna son nom au syndrome), dès 1944, puis la Britannique Lorna Wing, à partir de 1981, considéraient pourtant la prévalence féminine comme importante. Mais c’est depuis quelques années seulement que la communauté scientifique s’est vraiment emparée du sujet.

Certaines recherches visent à mieux comprendre les spécificités de l’autisme chez les femmes. Ainsi, le recrutement de volontaires a démarré au début de cette année pour l’étude sur « l’autisme au féminin » menée par Laurent Mottron, professeur au département de psychiatrie de l’Université de Montréal (Canada) et Pauline Duret, doctorante en neurosciences, en collaboration avec l’équipe que je forme, à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris, avec Adeline Lacroix, étudiante en master de psychologie, elle-même diagnostiquée autiste.

D’autres recherches tentent d’adapter les outils de diagnostic au sexe féminin. Une équipe composée des scientifiques australiens Sarah Ormond, Charlotte Brownlow, Michelle Garnett, Tony Attwood, et de la chercheuse polonaise Agnieszka Rynkiewicz, finalise actuellement un questionnaire spécifique pour les jeunes filles, le Q-ASC (questionnaire for autism spectrum conditions). Ils ont présenté leurs travaux en mai dans un congrès à San Francisco (États-Unis).

Si on assiste à une première floraison de résultats intéressants, la recherche sur les spécificités féminines dans l’autisme pose pour le moment plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Cette perplexité constitue une étape nécessaire, favorable au progrès des connaissances, pourvu que les femmes concernées puissent contribuer à cette heuristique en donnant leur point de vue sur l’orientation des travaux.

Les citoyens eux-mêmes peuvent œuvrer dans le sens de l’objectif commun : que les petites filles autistes bénéficient à l’avenir des mêmes droits que leurs pairs masculins. En s’informant mieux sur les formes très différentes que peut prendre l’autisme, chacun peut agir pour que ces enfants et ces adultes trouvent leur place dans une société refusant l’exclusion et prônant précisément l’inverse, l’inclusion.